Type de document : Original Article

Auteur

Maître de conférences HDR en didactique du français ; Département de langue et littérature françaises; Laboratoire LAILEMM – Université de Bejaia – Algérie

Résumé

Si les séquences figées sont souvent difficiles à comprendre, les publicitaires leur font subir diverses transformations qui les rendent plus opaques ; d’où la nécessité et intérêt de les enseigner surtout dans les contextes de français langue étrangère ou seconde. Si l’on décide de s’appuyer pour ce sur les publicités, le moins qu’on puisse dire est que la tâche n’est pas des plus aisées et interpelle les didacticiens. Notre étude s’inscrit essentiellement dans le cadre de la sociodidactique. Elle vise à mettre en évidence différentes manières par lesquelles les séquences figées sont utilisées dans les publicités, à s’interroger sur les difficultés de compréhension qui peuvent découler notamment de leur décontextualisation et modification, et enfin à traiter d’aspects relatifs à leur didactisation dans le cadre de la sociodidactique. Elle s''appuie sur un corpus constitué d''une centaine de slogans publicitaires. Elle montre que les modifications que subissent les expressions originale sont susceptibles de rendre plus difficile l’accès à leur sens surtout dans les contextes de français langue étrangère ou seconde. Cela exige que l’enseignant ou le didacticien s’appuie sur les propositions de la sociodidactique.

Mots clés

Titre d’article [Persian]

اصطلاحات در آگهی های تبلیغاتی : رویکرد توصیفی-آموزشی

Auteur [Persian]

  • أمحند عمودن

قسم الغة الفرنسیة - جامعة بجایة

Résumé [Persian]


درک اصطلاحات در آگهی های تبلیغاتی دشوار است زیرا به دلیل تغییراتی که در آن داده می شود اصطلاح پیچیده و غیر شفاف می گردد، به همین سبب آموزش آن در کلاس های زبان ضرورت می یابد. چنانچه برنامه آموزش اصطلاحات با تکیه بر پیکره های تبلیغاتی ارائه شود نیاز به مدرسان کار آزموده است زیرا کار بسیار دشواری است. این پژوهش که مبتنی بر روش شناسی آموزشی-اجتماعی است با اهداف زیر نگاشته شده است: نشان دادن روش های گوناگونی که متون تبلیغاتی از اصطلاحات استفاده می کنند و همچنین مشکلات درک و دریافت این متون به دلیل تغییرات ساختاری و بافتی که اصطلاحات در آن بکار برده می شوند و در آخر شیوه های آموزش مبتنی بر روش شناسی اجتماعی بررسی می گردد. در این پژوهش از پیکره ای متشکل از ۱۰۰ آگهی تبلیغاتی استفاده شده است. این تحقیق نشان می دهد که تغییرات ساختاری و بافتی باعث پیچیده شدن درک اصطلاحات می شوند و برای تدریس آن باید از روش شناسی آموزشی-اجتماعی  بهره جست. 
 

Mots clés [Persian]

  • اصطلاحات ثابت
  • اصطلاحات تغییر یافته
  • تبلیغات
  • روش شناسی آموزشی اجتماعی
  • درک معنا

Titre d’article [English]

The Sequences Frozen in Advertising Slogans: Description and Sociodidactic Proposals

Résumé [English]

If the frozen sequences are often difficult to understand, the advertisers make them undergo various transformations which make them more opaque; hence the need and interest to teach them especially in the contexts of French as a second or foreign language. If we decide to rely to rely for these sequences, the least we can say is that the task is not easy and challenges the didacticiens. Our study is essentially part of sociodidactics. It aims to highlight different ways in which frozen sequences are used in advertisements, to question the difficulties of comprehension that may arise in particular from their decontextualization and modification, and finally to deal with aspects related to their didacticalization. The framework of sociodidactics. It is based on a corpus of about a hundred advertising slogans. It shows that the modifications that the original expressions undergo are likely to make access to their meaning more difficult, especially in the contexts of French as a second or foreign language. This requires that the teacher or the didactician relies on the proposals of the sociodidactic.

Mots clés [English]

  • Frozen sequence
  • Semi-congestion
  • Sociodidactic defection
  • Access to intercultural meaning

Problématique

Il existe une pléthore de séquences figées dans la langue française. Vaguer (2011) estime que le fait que Gross en a repéré (et précisons-le dès le début des années 1980) plus de 40000 est suffisant pour démentir la conception traditionnelle qui voulait en faire des exceptions. Il rappelle d’ailleurs que Danlos avait déjà déclaré qu’« ignorer ces constructions revient à ignorer une bonne partie du langage ». De plus, il convient de préciser que la définition donnée aujourd’hui à la notion de «séquences figées», suite notamment aux travaux de Salah Medjri (1994, 1998) élargit le champ que recouvre celle-ci et en font un objet d’étude vaste et incontournable. On a désormais affaire à une expression générique qui regroupe de nombreux phénomènes linguistiques : elle inclut dorénavant, entres autres, les expressions figées, les locutions, les collocations, les expressions idiomatiques, etc.

Il est par ailleurs difficile de ne pas remarquer que les expressions figées sont souvent utilisées dans la publicité. Elles constituent même l’un des précieux outils auxquels recourent les publicitaires comme le souligne, en 1990 déjà, Grunig (cité par Burbea, 2007 : p.316) qui est persuadée que « si la formule figée n’existait pas dans la langue française (et dans d’autres langues) le slogan publicitaire perdrait l’un de ses auxiliaires les plus précieux». La place particulièrement importante qu’occupent ces expressions dans les genres publicitaires est due aux nombreux avantages qu’elles permettent : attirer l’attention, susciter la curiosité, favoriser la rétention, etc. Díaz (2012 :19), qui parle d’une «préférence très marquée» des concepteurs de la publicité aux énoncés figurés, justifie cela par l’effet pragmatique attendu de la publicité qui implique que son message comporte inévitablement «une grande force de conviction, de valeur d’adhésion, voire d’authenticité». Or, ajoute-t-elle, grâce à son caractère proverbial, l’énoncé figuré 

Se rapproche très sensiblement de ce qu’Hernan Parret appelle “la modalité de la certitude” et de laquelle l’auteur dit que rien ne surpasse en force pragmatique : ce qui est incontestable est vrai, et par cette ruse langagière, c’est l’ensemble de l’énoncé discursif qui bénéficie d’un crédit ou qui s’en trouve authentifié (Ibidem).

Dans le souci de comprendre davantage ce phénomène à des fins didactiques, nous avons décidé d’apporter les premiers éléments de réponses aux questions suivantes : Comment les séquences figées sont-elles utilisées dans les genres de discours publicitaires? Quelles sont les principales implications sociodidactiques de cet usage particulier?

Pour tenter de comprendre comment le recours aux séquences figées produit l’effet pragmatique positif que nous venons d’évoquer, nous devons préalablement nous interroger sur les manières dont les concepteurs des publicités les utilisent. Ceux qui ont déjà travaillé sur la manière avec laquelle elles sont rentabilisées dans la publicité, parmi lesquels nous pouvons citer Georgiana Burbea (2007) et Olga María Díaz (2012), nous apprennent globalement que l’on peut distinguer deux manières différentes. La première consiste en l’insertion de séquences qui ne subissent pas de modifications. C’est le cas à titre d’exemple dans les cinq slogans suivants recueillis par Olga María Díaz (2012) : Coupons la poire en deux (Renault), la clé des champs (Volkaswagen Golf), les fines mouches écoutent Europe1 (Europe 1), on vous en fera voir de toutes les couleurs (Voyages Irlande), les chiens ne vont pas en croire leurs yeux (FIDO). La deuxième se concrétise par l’insertion d’expressions figées transgressées (défigées). C’est le cas des slogans suivants cités par Georgiana BURBEA (2007) : «Je suis dans tous mes Etam» provenant de «Je suis dans tous mes états», «Quand les lessives délavent les couleurs trinquent (Mir)» au lieu de «Quand les parents boivent les enfants trinquent», «Quand les Jet sont là les couleurs dansent» issu de la modification de «Quand le chat n’est pas là, les souries dansent», «Moins cher que ça tu meurs», «Plus beau que moi tu meurs», «Aide toi, Contrex t’aidera», «œil pour œil son pour son. (Ampex)», «Tout est bain qui finit bien» (Sentens)».

Ceux qui travaillent sur cette problématique accordent une importance particulière à la notion de défigement. Lecler (2006 : 43) qui rappelle que le figement est fréquemment étudié «pour ses caractères morphologiques, syntaxiques et sémantiques repérables dans la langue». Rey explique que la notion de défigement est à l’origine celle de figement : «la notion intéressante, et par laquelle celle de “figement” est apparue, c’est le “défigement”»; et que «si l’on s’est rendu compte de l’existence du figement, c’est grâce à la possibilité de le détourner, de le "défiger"». Elle ajoute que «c’est donc dans le discours, par de possibles déviations, que la fixité linguistique a été mise en évidence» et que le «défigement représente, dans sa dénomination même — par le préfixe dé-issu du latin dis- qui signifie l’éloignement, la privation — la forme opposée au figement». D’autres parlent du semi-figement, qu’on peut illustrer par l’exemple suivant donné par Habler et Christiane Hümmer :

Cet emploi de (être) comme un/le poisson dans l’eau s’est perpétué après le XVIIIe siècle jusqu’à nos jours. L’expression un poisson hors de l’eau est devenue rare, elle continue pourtant à exister. Dans (12/1) poisson hors de l'eau s’entend littéralement, ce qui pourrait prouver un certain défigement : (2005 :110).

Ce que nous connaissons sur les spécificités des discours publicitaires, dont les recours fréquents de leur scripteurs, d’une part à des jeux de mots, à des slogans énigmatiques, à l’intertextualité, à l’obliquité (détournement de sens, implicite, présupposé, etc.), et d’autre part, à de nombreux procédés permettant de faire figurer le nom de la marque ou du produit dont il s’agit nous conduisent à supposer que le recours au défigement conviendrait davantage aux publicitaires. La confirmation de cette hypothèse ferait premièrement que le repérage du maximum de procédés de défigement s’imposerait; deuxièmement que cette caractéristique serait assurément à l’origine de difficultés supplémentaires d’accès au sens des publicités; et, troisièmement que l’enseignement de ce phénomène et la prise en compte, par le sociodidacticen du français langue étrangère ou seconde notamment, de ses effets sur l’accès au sens de la publicité s’avéreraient autant inévitables qu’intéressants.

Pour répondre aux questions que nous venons de poser et pour vérifier la validité de nos hypothèses, nous nous appuyons essentiellement sur une centaine de slogans publicitaires choisis parmi les 3725 que renferme le site Internet Slogan de pubs[1]. Pour choisir les slogans retenus pour l’analyse et l’illustration, nous partons d’abord de l’une des conclusions de Mejri (1998 : 41) : «Le sens global de ces séquences [figées] n'est pas déductible du sens de leurs constituants». Cela nous conduit à déduire l’unique critère de sélection : la résistibilité d’accès au sens auquel peut être confrontée le récepteur non natif du message publicitaire. Nous nous basons sur le postulat que chaque slogan dont l’accès au sens nous semble difficile, proviendrait du recours à une séquence figée et notamment défigée. Pour vérifier le défigement et ses effets, et pour catégoriser les différents procédés de défigement, nous nous appuyons sur le Dictionnaire des expressions et locutions de A. Rey et S. Chantreau (1989), sur le Dictionnaire français-espagnol expressions et locutions de Michel Benaben (2016)[2] et sur Les expressions françaises décortiquées figurant sur le site Revers xpressio.fr[3].

1. Séquences figées dans les slogans publicitaires

L’analyse de notre corpus conduit à distinguer trois types de procédés : l’utilisation de séquences figées entières et sans modification, l’insertion de parties d’expressions sans modification et l’utilisation de séquences défigées ou «transgressées» de diverses manières.

2. Insertion d’expressions sans modification 

La première catégorie de slogans que nous distinguons est celle dans lesquels sont insérées des séquences figées entières qui n’ont pas subi de modification, sur le plan formel du moins. Dans certains cas, nous constatons même que le slogan entier se réduit à la séquence :

Comme son nom l'indique (le Rustique)

Chacun a son mot à dire ! (Scrabble)

Ça coule de source ! (Cristalline— eau en bouteille)

Croquez la vie à pleines dents (Polident)

Tout un numéro (Pastis 51)

Quand on veut, on peut (Mikit)

On est faits l'un pour l'autre (Cuir Center— canapés)

Prenez une longueur d'avance (Intersport— magasins de sport)

Des affaires en or (Giga Store— magasins d'habillement et d'ameublement).

Un style de vie ! (Suzuki)

Comme nulle part ailleurs (Center Parcs— villages de vacances)

Jamais à court d'idées (Knorr)

La beauté n'a pas d'âge (Lierac— produits de beauté)

Dans d’autres cas, les séquences (mises en gras par nous) sont insérées dans des écriteaux qui s’avèrent souvent à peine un peu plus longs qu’elles :

Ton style de vie (le Gym — salle de sport de l'université Concordia à Montréal). 

Pour se sentir bien dans sa peau (Dans un Jardin— produits de beauté, parfums)

Le bœuf comme nulle part ailleurs. (Hippopotamus— restauration)

L'Australie, comme nulle part ailleurs. (Australie— tourisme)

Qui dit mieux dit Midas (Midas France)

Le net au sens propre (Limpa nettoyages)

L'énergie au sens propre (Areva— production d'énergie nucléaire et renouvelable).

Du Leerdamer ou je fais un malheur! (Leerdamer).

Ça change des idées toutes faites (Marie —plats cuisinés)

Osez nous demander la lune! (la Compagnie du lit— magasins de literie).

Badoit n'a pas fini de nous mettre les mots à la bouche! (Badoit) 

La 5, c'est 5 sur 5. (La Cinq — chaîne de télévision — devenu France 5).

Avec vous de A à Z (Allianz— assurances)

De la culture à revendre. (Gibert Jeune— librairies)

Trouvez votre point G. (Gironde— tourisme)

Le pressing par amour-propre (Bleu de France Pressings)

Le style comme style de vie (le BHV Marais— Bazar de l'Hôtel de Ville).

Une superbe cuisine à la portée de tous (Kvik —cuisines et salles de bains).

Même si les séquences figées insérées dans ces exemples n’ont pas subi de modifications formelles, l’analyse sémantique révèle que les sens que semblent leur conférer les publicitaires s’écartent souvent considérablement de leurs sens originaux. Citons à titre d’illustration que

le sens de la séquence utilisée dans le slogan (2) passe de «être en droit de donner son avis» (Rey et Chantreau (1989 : 779) à quelque chose du genre avoir un mot à placer, voir pouvoir placer un mot,

celui de (3) va du sens «aller de soi, être la conséquence normale d’un fait» (Ibid. : 1078) à celui d’eau de source,

dans (4) ce n’est plus «profiter pleinement de la vie», mais sauvegardez vos dents pour…,

dans (7) l’un et l’autre ne désignent plus deux personnes, mais un canapé et une personne,

dans (27), tout en gardant l’idée initiale de «grande quantité», on la surcharge de celle de revente.

3. Insertion de parties d’expressions sans modification

La deuxième catégorie qui se dégage est celle dans laquelle on se contente d’insérer une partie de la séquence figée. C’est le cas du recours à « sur toute la ligne » qui constitue une partie de l’expression figée « Se tromper sur toute la ligne» :

Du soleil sur toute la ligne ! (Air Caraïbes— compagnie aérienne)

Efficace sur toute la ligne. Direct Assurance — assurances

Différent sur toute la ligne. (Thalys)

Raffinée sur toute la ligne (Porter Airlines)

L'équilibre sur toute la ligne (Taillefine)

Notons d’abord que les concepteurs n’ont pas seulement utilisé exactement la même séquence, mais qu’ils l’ont également tous utilisé globalement de la même manière : on s’est contenté de remplacer le verbe «se tromper» par un nom ou un adjectif. Cela dit, il convient de retenir que l’analyse sémantique révèle d’une part que le sens original de la séquence est transgressé dans tous les slogans : l’idée de «se tromper», à laquelle conduit habituellement à l’utilisation de la séquence originale, est complètement supprimée. Le fragment gardé (sur toute la ligne) se trouve même désormais associé au contraire de «se tromper» : à pour ne pas se tromper.

4. Insertion d’expressions modifiées

La dernière catégorie est constituée de slogans dans lesquels les séquences figées utilisées ont subi divers types de modifications. Nous distinguons ainsi plusieurs sous-catégories que nous présentons dans ce qui suit.

5. Un effet modifié

Dans le cas, ci-après, on ne note, à priori, que la transformation de l’effet d’un seul mot. Il s’agit du mot «lu» mis en majuscule dans le slogan :

LU et approuvé (LU).

Il est pourtant à souligner que cette mise en majuscule permet au concepteur de la publicité de faire coïncider le mot initial avec le nom de la marque dont il s’agit. Il en résulte que le participe passé de la séquence figé (Lu), devient un nom (le nom de la marque LU). Le slogan peut alors être lu de la manière suivante (LU est approuvé). Par ailleurs, ce changement d’effet vise également à attirer l’attention sur la mise en relation établie entre le mot et la marque. Nous décèlerons plus bas la même technique dans les exemples (43) et (83).

6. Une lettre modifiée

Dans d’autres cas nous constatons la substitution d’une lettre par une autre :

La compétence à tous prix. (Gonthier pneus) 

La vie en pose! (Camtec Photo)

Notons qu’on tente de sauvegarder dans (38) la même prononciation de la séquence figée initiale en s’appuyant sur l’homophonie (tout/tous) ou de rester très proche de celle-ci dans le cas de (39) en pensant à un mot qui forme une paire minimale (Rose/pose).

7. Une ou deux lettre(s) ajoutée(s)

Dans les deux slogans ci-après, on s’est contenté de l’ajout d’une ou de deux lettres :

Vous lirez loin (Folio— maison d'édition).

Redonner un sens à la vie (La Rue des Femmes – fondation)

Cela suffit pourtant pour transgresser le sens initial des deux séquences. Si le changement de sens est évident dans le cas du premier (40), il convient de retenir que même dans le second cas, le passage de «donner» à «redonner» fait que dans le slogan (41), on s’adresse à ceux qui ont perdu le sens de la vie, ce qui n’est pas forcément le cas de l’expression originale qui concerne davantage celui qui n’a jamais donné de sens à la vie.

8. Des lettres supprimées

Dans le slogan (42) la modification a consisté en la suppression de quatre lettres. Nous pensons que le slogan de la chaine de restauration Mc Cain provient de l’expression «que du bonheur» : 

Que du bon. (McCain)

9. Un mot modifié 

La modification qui concerne cette sous-catégorie porte sur un seul mot. L’examen des slogans concernés permet de les répartir en deux parties. Nous rangeons dans la première ceux dont les publicitaires ont veillé à ce que la prononciation du mot modifié reste identique ou très proche du mot original :

Il y a du bonheur dans l'R. (Toys “R” Us)

Le dire, c'est bien, Lefert, c'est mieux !( Lefert)

C'est clair, c'est net, c'est Optinett. (Optinett)

La mode à petit prix. (Kiabi)

Je vis ma ville. Havre (le)— tourisme

Tous les goûts sont permis. (Tassimo)

Hextril vous enlève les maux de la bouche. [Hextril— bain de bouche]

Pour le meilleur et pour le prix. (Brault & Martineau— magasins d'ameublement et d'électroménagers)

Le paradis sur mer. [Costa Croisières— croisières maritimes]

Un autre style de ville. (À nous Paris— magazine)

Un nouveau mode de vie. Botanic— jardineries

Un mode de vie ! (STTR (Société de transport de Trois-Rivières)

Le sommeil cousu main. (Treca)

Donnons du sens à la voix. Iperlink— services en télécommunications

Donnez de la saveur à la vie. (Knorr)

Dans la deuxième partie, la prononciation du mot modifié s’écarte à des degrés divers de celle des mots figurant initialement dans la séquence figée :

Votre paradis bancaire. Boursorama Banque— banque en ligne

Toujours pétri de bonnes inventions. Harry's— viennoiseries, pâtisseries

Opticiens jusqu'au bout des yeux [Néoptic] jusqu'au bout des yeux angles

Le bonheur, c'est simple comme un coup de fil. France Télécom— opérateur de télécommunications — devenu Orange (…comme bonjour) 

Les bons prix font les bons amis Fido

Votre jardin vous le rendra (Botanic— jardineries)

Prenez votre futur en marche. (Carte Bleue Visa— cartes de paiement)

Pour être bien dans sa tête. [Head & Shoulders — shampoings

À chaque exploit sa couronne. (Rolex)

Goûtons la vie du bon côté. Yoplait— produits laitiers

Prenez une télé d'avance. (MaligneTV)

Prenez un temps d'avance avec le télépéage (iber-t)

Quick, quand tu nous tiens ! (Quick (restauration rapide))

La vie en bleu. Gaz Métro— fournisseur de gaz

Numériquement vôtre.[ LG] (Amicalement vôtre) 

 Directement vôtre. (Monabanq (banque en ligne))

Quotidiennement vôtre. (SAVAC)

Précisiument vôtre. (Précisium)

10. Un ou deux mot(s) supprimés 

Dans les cas suivants, la modification a consisté à supprimer un ou deux mots :

La référence qualité/prix (MAAF)

Le meilleur confort qualité/prix (Authentica ameublement, devenu Camif)

Pour vous, on s'engage jusqu'au bout. (AGPM— assurances)

Notons que dans un sens, les exemples donnés plus haut dans la catégorie précédente (cf. supra 2.2.) peuvent souvent être ajoutés à cette sous-catégorie.

11. Deux mots modifiés

Cette sous-catégorie est constituée de slogans dont les scripteurs ont modifié deux mots :

Pour boire la vie en vert (Vernière)

Pour le prix et pour l'esprit (Opticiens Mutualistes (les))

Liberté, simplicité, fiabilité [Eni— Ente Nazionale Idrocarburi — production d'énergie]

Tel maître, tel soin. (Biocanina— produits vétérinaires) 

Il y a quelque chose dans l'Air Wick. (Air Wick— parfums)

12. Plus de deux mots modifiés

Dans quelques slogans, la transgression porte sur plus de deux mots, mais sans que cela n’empêche de renvoyer, soit-il assez implicitement, à la séquence figée initiale :

Qui sème les fleurs, récolte la tendresse. (Interflora— livraison de fleurs)

La vie en bleu. Gaz Métro— fournisseur de gaz

Technicité, compétitivité, qualité au service de votre auto. Bosch Service— réparation d'électroménagers

La Mer est sur Terre. (Nausicaà)

C'est si bon de faire confiance à une femme. (Monique Ranou)

C'est ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus. (McCain)

La qualité, le prix -Ixina— cuisines

La qualité à prix discount. Fabio Lucci

La meilleure qualité au meilleur prix. Aldi— supermarchés

C'est bien d'être dans sa peau ( Olay).

13. Transgression importante 

La dernière sous-catégorie que nous avons distinguée est celle dont les slogans ont subi des modifications tellement importantes qu’il peut s’avérer difficile de penser à l’expression figée originale, voire même d’être sûr que le slogan est obtenu à partir d’une séquence figée :

Les beaux endroits font les belles histoires. (Belambra — villages de vacances)

Un corps sain dans un esprit club. Club Med Gym, devenu CMG Sports Club)

Peau saine, corps sain. Dial— produits d'hygiène

Ne pariez jamais que vous n'en mangerez qu'un! Granola— céréales

Qui a Vu, verra. Vu? (Vu)

Demandez-nous la ville(ATP)

Son goût fait un malheur. (Leerdamer)

L'accent sur la mode (Gémo— magasins d'habillement).

L'accent sur les prix (Gémo— magasins d'habillement).

Il convient en outre de signaler que le choix des séquences se fait dans la quasi-totalité des cas d’une de façon à tisser, d’une manière ou d’une autre, un lien direct entre le nom de la marque ou de l’activité dont il s’agit et le mot clé ou sens de la séquence. Ce procédé se manifeste clairement par la mise en relation entre mot et scrabble (2), entre source et eau (3), entre dent et Polident (4), entre numéro et le numéro 51 (5), entre beauté et produits de beauté (13), entre peau et produits de beauté (15), entre net, propre et nettoyage (19), entre 5 et la Cinq, entre la lettre G et Gironde (28), entre propre et pressing (29). Ce choix est parfois fait de façon à ce que l’appréciation du procédé utilisé impose au récepteur d’associer «consciemment» les deux éléments. Si c’est le cas, dans tous les exemples que nous venons de citer, il convient de signaler que l’accès au sens visé par le concepteur du slogan est carrément impossible à titre d’illustration sans l’association de la séquence utilisée avec le nom «le Rustique» (l’idée de campagne) dans (1), et avec l’opération consistant à former des mots (2), le chiffre 51 dans (5), l’idée de grande quantité de livres …à vendre dans (27), l’idée de différents prix sans (38).

14. Implications (socio)didactiques

Quelles sont les implications didactiques vers lesquelles peuvent conduire les résultats de l’analyse linguistique relative à la place et aux différentes manières dont sont utilisées les séquences figées dans les slogans publicitaires qui constituent le corpus de notre étude?

D’abord, il convient de rappeler que le développement de la didactique a fait que ceux qui s’inscrivent dans cette science préfèrent de plus en plus, depuis la fin des années 1990, dans le cas du français langue étrangère et seconde du moins, parler de la sociodidactique. La sociodidactique, telle qu’elle est définie, entre autres par, Cortier (2009), Rispail (2013), Abbes-Kara, Kebbas et Cortier (2013), Rispail et Blachet (2015) articule la sociolinguistique et la didactique des langues. Elle implique notamment la contextualisation didactique et donc la prise en compte des spécificités sociolangagière du contexte dans lequel se déroule un enseignement apprentissage (Statuts des langues, contacts de langues, etc.), mais aussi et surtout les profils des apprenants concernés (leur niveaux, leur représentations, leur biographie langagière, etc.). C’est dans cette perspective que s’inscrivent les propositions ci-après.

15. Nécessité et intérêt d’enseigner les séquences figées

L’abondance des séquences figées dans les langues suffit pour en faire des contenus dont l’enseignement est inévitable. De plus, le fait que le sens de ces séquences est fréquemment «opaque ou non compositionnel» (Gross, 1996), parce qu’il n’est pas «déductible du sens de leurs constituants» (Mejri, 1998), ne fait qu’amplifier la nécessité de les enseigner.

En outre, comme nous venons de le voir, les séquences figées font incontestablement partie des caractéristiques discursives et stylistiques des genres de discours publicitaires et doivent donc être enseignées dans les séquences didactiques articulées autour de ces genres.

Le fait que ces séquences véhiculent la culture en fait des outils très intéressants pour le développement de compétences plurilingue et pluriculturelle, vivement recommandée dans la l’approche actionnelle (Conseil de l’Europe, 2001). Nous avons déjà illustré comment l’affichage public d’une manière générale peut être utilisé à cet effet (Ammouden, 2009).

Notons enfin que les différentes manières dont ces séquences sont utilisées dans les publicités offrent la possibilité de varier les activités. Or, cela ne peut que favoriser la motivation des apprenants et contribuer à atténuer l’un des problèmes auxquels sont fréquemment confrontés les enseignants : la redondance des mêmes types d’exercices et d’activités et les effets de routine ennuyante qui en découle.

16. Obstacles et pistes sociodidactiques 

Si le caractère naturellement opaque des séquences figées, telle qu’elles existent dans la langue, est suffisant pour rendre difficile l’accès à leurs sens par l’apprenant, le fait que les publicitaires font subir diverses transformations (démembrement, délexicalisation, défigement, etc.) aux séquences figées (Ammouden, 2016; Diaz, 2012; Gross, 1996 ; Klett, 2013) ne peut que rendre leur compréhension encore plus difficile. Par ailleurs, il très possible que ces contraintes soient amplifiées dans les contextes de langues étrangères ou secondes, vu que «la manipulation créative des formules peut déstabiliser les locuteurs, surtout, s’ils sont étrangers» (Klett, 2013), surtout si la distance qui sépare la culture locale de celle à laquelle se référerait l’expression figée est importante.

Pour remédier à ces problèmes, dont notamment celui dû à l’emploi souvent particulier des séquences figées dans les publicités, il devient particulièrement indispensable de tenir compte de vérifier si les activités à proposer aux apprenants peuvent s’inscrire dans leur Zone de Développement Prochain. Rappelons que ceux qui traitent de cette notion dans une perspective (socio)constructiviste et cognitiviste expliquent que les activités à proposer doivent être «suffisamment difficiles pour qu’il apprenne quelque chose, et suffisamment faciles pour qu’il ne se décourage pas» (Coïaniz, 1998). Il est ainsi nécessaire, dans le cas qui nous concerne, d’opérer de nombreux choix en fonction du profil des apprenants pour qu’elles s’inscrivent dans leur nature des supports, types des activités, nature des séquences figées, présence/absence de séquences figées proches dans la langue maternelle ou première langue étrangère déjà acquise, degré de leur «transgressions », etc.

En ce qui concerne les supports, si la théorie des genres de discours suffit pour inciter l’enseignant à tenir compte du contexte immédiat de l’apprenant (Ammouden, 2015a), l’approche sociodidactique en fait un principe capital et inévitable (Abbes-Kara, Kebbas et Cortier, 2013). S’appuyer sur des documents authentiques issus de l’environnement immédiat de l’apprenant est ainsi très souhaitable surtout quand nous avons affaire à des genres de discours qui résistent habituellement aux apprenants (débutant notamment), tels que les écrits littéraires (Ammouden, 2015b). Or, il en est de même dans le cas qui nous concerne. L’un des meilleurs moyens susceptibles de favoriser l’inscription, dans la ZDP des apprenants, des activités portant sur l’utilisation des séquences figées dans la publicité serait de commencer par proposer des publicités qui s’appuient sur des séquences figées issues de la langue-culture maternelle de l’apprenant ou le cas échéant des langues-cultures nationales avant de lui proposer celles se référant à d’autres langues-cultures étrangères. Notons par ailleurs, que le recours aux deux types de supports peut favoriser le développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle et permet à l’enseignant de proposer par exemple des activités de traduction ou de conception de slogans plurilingues. Quand on arrivera aux publicités étrangères, il est souhaitable de commencer par les publicités dans lesquelles sont utilisées des séquences figées qui ont des équivalents dans la langue maternelle de l’apprenant.

En outre, dans tous les cas, pour minimiser les problèmes dus au caractère opaque des séquences, il pourrait s’avérer très utile de les enseigner, surtout au début, sans les isoler des publicités qui les véhiculent et de donner le maximum de renseignements sur les circonstances de production de celles-ci (lieux, période, évènements particuliers qui coïncides avec sa parution, etc.).

Pour une progression globale, et c’est valable aussi bien dans le cas des publicités locales qu’étrangères, l’ordre par lequel nous avons présenté les différentes catégories et sous-catégories d’utilisation des séquences figées dans les publicités (expressions pas modifiées, une lettre modifiée, une ou deux lettres modifiées, un mot, … écart important) pourrait convenir très bien. Les slogans dont les séquences ont subi une transgression importante ne conviendraient certainement pas aux publics des niveaux débutant ou intermédiaire. Nous rejoignons ainsi entièrement Diaz (2012) qui estime que « la “meilleure compréhension” au niveau avancé sera celle où l’apprenant est capable de percevoir le jeu de mots, c’est-à-dire de reconnaître par-delà la déformation, l’expression originale».

Il est par ailleurs évident que le choix des supports devraient se faire en fonction des procédés utilisés et des types de modifications subies aux séquences figées d’origines pour en faire découvrir le maximum aux apprenants.

Les slogans à utiliser devraient être diversifiés pour faire découvrir le maximum des procédés utilisés dans les publicités.

17. Exemples d’activités possibles

Les activités à proposer dans un module d’une séquence didactique qui porterait sur le slogan publicitaire d’une manière générale ou sur les séquences figées dans les slogans peuvent obéir nous semblent-il au schéma ternaire habituel : 1. Découverte; 2. Approfondissement /entrainement/analyse; 3. Production.

Plus concrètement on peut penser aux activités suivantes :

Faire examiner des publicités (ou slogans) et demander de relever des expressions connues,

Demander de formuler des hypothèses sur le sens de ces expressions,

Demander de s’interroger sur les différents sens d’une même séquence figée (en ligne, amour-propre, etc.).

Conclusion

Notre étude montre que les expressions figées sont abondantes dans les publicités francophones. Plus que cela, elle confirme que sans les expressions figées, les publicitaires perdraient l’un des outils les plus importants par lesquels ils parviennent à concrétiser toute la beauté, la force et la magie des slogans publicitaires. Elle a également permis de confirmer notre postulat de départ selon lequel les modifications que les concepteurs des publicités font subir aux expressions peuvent effectivement les rendre plus opaques. Si cela justifie l’intérêt et la nécessité de les enseigner, il est indispensable que les enseignants prennent en considération, dans les contextes de français langue étrangère et seconde que la particularité de l’objet dont il s’agit rend particulièrement indispensable le recours aux premières pistes issues de la naissante sociodidactique.



[1] http://slogansdepub.skyrock.com

[2] http://dictionnairefrancaisespagnol.net/dictionnaire_francais_espagnol.pdf

[3] http://www.expressio.fr/toutes_les_expressions.php